13 avril 2008

Tibet

Vous avez remarqué? Le monde médiatique français fonctionne éternellement de la même façon. Toujours. C'est inamovible. Tout commence par un événement spectaculaire et dramatique. Dernier exemple en date, les JO. La Chine. Le Tibet. Les athlètes chinois qui, dans un louable souci de changement et d'innovation, remplacent les cibles du tir à la carabine par des moines bouddhistes. Un bonze tibétain remplace-t-il avantageusement une cible de tir à la carabine? Oui, à condition, que le bonze tibétain ne soit pas au courant. Mis au parfum, le bonze rechigne, bouge, et bon, pour tirer dans de bonnes conditions, il faut quand même une cible un minimum immobile. Bref. La Chine massacre nos amis les Tibétains, événement tragique auquel s'intéressent tous les grands médias sérieux et indépendants, ou même TF1.


Première temps: des ames éplorées s'indignent tandis que des esprits indignés s'éplorent. Ainsi, au dessous d'une ligne Perpignan-Ajaccio,dès que le sang coule, que des dictateurs répriment, que la démocratie est mise à mal et la liberté sous les verrous, aussitôt accourent sur les ondes hertziennes ces Robert Ménard, Renaud, éternel rebelle qui ne tolérera jamais par exemple une quelconque augmentation des tarifs du Café de Flore, Cali, Bernard-Henri Lévy, qui regrettera toute sa vie de ne pas avoir pu assister au génocide arménien, il en aurait fait trois best-seller, Bernard Kouchner (ah, plus trop, bizarrement), et j'en passe et des plus cathodiques qui viennent, scandalisés par notre passivité molle, nous inciter, nous qui ne faisons honteusement rien, à rejoindre des causes grandioses où l'on pourra enfin et à peu de frais racheter notre pauvre conscience.Pour eux, trouver une situation inacceptable et révoltante chez Ardisson, entre une vendeuse d'albums et un acteur qui répète que si tout le monde trouve son film à succès complètement nul, c'est « parce que c'est typiquement français, comme réaction », ce rôle d'agitateur humanitaire télévisuel peut constituer un véritable métier ou un simple passe-temps pour artistes engagés, entre deux concerts dans le Massif central et un dîner chez Séguéla.


Deuxième temps: les politiques réagissent. En général, Ségolène Royal sort une proposition qui fait doucement rigoler les porte-paroles de l'UMP plus si triomphante que ça et les analystes politiques rigoureux, qui sur RTL, qui chez Calvi, qui dans « Le Monde ». Ensuite, immanquablement, Rama Yade fait une gaffe, Fillon la rattrape et le mari de Carla Bruni, lui, s'empare de l'affaire: « Je ne tolérerai pas de tels agissements. Parce que, c'est quand même extraordinaire, hin, parce que, qu'est ce que je dois faire M'ame Chabot? Alors, moi je vous le dis, je n'ai qu 'un message à adresser à nos amis les Chinois: « Cassez vous du Tibet, pov'con. » »Les dirigeants socialistes populaires et légitimes et constructifs, comme euh....enfin....euh, François Hollande et ses copains interpellent le gouvernement. « C'est un nouveau constat d'échec pour Nicolas Sarkozy et François Fillon....pendant la campagne électorale le président avait promis...du temps de Lionel Jospin, ah ça, c'était différent...et je constate que sur ce sujet sensible.... la majorité est divisée... »


Troisième temps: les ronchons qui débarquent au bout de quelques temps, en face des indignés professionnels, en nous racontant totalement le contraire. Et bien non, pas du tout, ce n'est pas aussi simple que cela, vu de France, bien sûr, c'est facile, etc. Tout d'un coup, en l'espace de deux déclarations de Jean-Luc Mélenchon, d'une intervention d'Eric Zemmour et trois articles de « Marianne »,ça fait soudainement plus chic d'avoir la pensée opposée sur un sujet pourtant consensuel. Les Tibétains sont des feignasses, les Chinois des victimes du racisme de la pensée unique. Comme leurs amis les scandalisés professionnels, les rétablisseurs de vérités-honteusement-tues-par-les-médias-bien-pensants infligent alors à nos yeux fatigués et à nos oreilles dubitatives leur vision iconoclaste de telle situation internationale ou événement planétaire Trouver la part d'ombre enfouie, retourner les situations, inverser le rôle des « gentils » et des « méchants », voilà leur unique passion. Ils sont « anti-conformistes ». Qu'est ce qu'un anti-conformiste, me direz-vous? Et bien quand quelqu'un tient des propos racistes, on dit qu'il est raciste. Quand Eric Zemmour tient des propos racistes, on l'acclame en tant qu' « anti-conformiste ». Nuance.


Dernier temps, enfin: On oublie. Le Darfour, la Birmanie, et bientôt, donc le Tibet, tous connaissent lentement et inexorablement ce curieux phénomène. Peu à peu, on passe à autre chose. Les morts s'entassent toujours mais les médias français n'en parlent plus. Au 20h, les reportages concernent d'autres sujets. BHL ré-ajuste sa chemise. Robert Ménard tente de trouver un sujet qui lui assure 2minutes de plus chez Ruquier. Kouchner s'achète un nouveau sac de riz. Georges Frêche retourne à ses préoccupations languedocciennes. Déjà, les débatteurs de Pascal Clarck boive leur café autour d'un autre sujet. La France se rendort, en attendant la prochaine fois. Comme toujours.


A la semaine prochaine.

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