16 juin 2008

Licenciement

Lundi dernier, rentrant d'une harassante demi-journée de travail, j'allumai négligemment ma télé, tombant par hasard sur le journal télévisé de Canal +. Autant dire que je n'ai pas été déçu. Dès les premières images, une sourde interrogation me déchira le subconscient (c'est très douloureux, soit-dit en passant). Car, quelles sont-elles, je vous le demande, ces images? De viellies archives, avec les trois lettres INA dans un petit encadré. On reconnaît le jeune mais déjà malicieux Patrick Poivre d'Arvor, présentant le journal d'Antenne 2, sa voix couverte par un commentaire compassé narrant la lente ascension du journaliste "...et Patrick Poivre d'Arvor devient très vite populaire....un symbole, le présentateur le plus écouté d'Europe...21 ans à la tête du journal de TF1...passioné de littérature...drames personnels....affaires sulfureuses...", bref, ce genre de résumé d'existence, présentation nécrologique de la vie d'un défunt célèbre que les médias nous servent à chaque décès de Grands Hommes. D'où mon questionnement inquiet: Patrick Poivre d'Arvor serait-il donc mort? Comme ça, là, par surprise, à 60 ans seulement? Diantre! Heureusement pour la liberté de la presse, je comprends que PPDA n'est pas mort mais seulement viré.


PPDA viré. A peine la nouvelle continue, qu'on nous inflige une loghorrée d'obscénité sans fond. C'est d'abord les médias qui se délectent de la nouvelle, la plaçant en une de tous les journaux, la mettant au menu de chaque débat, de chaque émission, de chaque chronique. On raconte les moindres détails, les coulisses, les dessous de l'affaire, ce qui s'est vraiment passé, Paris-Match, allant même jusqu'à avec une délicieuse élégance publier la phot exclusive du journaliste découvrant sur son portable le texto fatal (en attendant que le site internet du "Nouvel Obs" n'en publie le contenu: "Si Laurence Ferrari revient, j'annule ton contrat"). C'est ensuite l'intéressé, lui-même, PPDA qui s'érige en parangon de l'impertinence envers le pouvoir politique (défense de rire) et ses amis, invités dans les talk-shows, qui relaient cette prétendue insolence journalistique. C'est aussi les commentateurs qui se demandent si oui, ou non Nicolas Sarkozy y est bien pour quelque chose. "Ah! On ne voit ça qu'en France, cette paranoïa! Le président n'a rien fait" décréte jean-Michel Aphatie. Ce sont les débatteurs cathodiques qui s'interrogent sur le devenir de la marionnette des guignols, réplique latexifiée de PPDA, un débat capital pour l'avenir de notre pays. L'AFP, institution vénérable du journalisme sérieux et responsable, qui pond une dépêche pour confirmer en urgence la reconduite de la marionnette au poste de présentateur du journal satirique.


A y réflechir, je crois que c'est peut-être TF1 le plus indécent de l'histoire. Remercier ainsi, après 21 ans de services (qu'on les juge bons ou mauvais), d'un coup d'un seul, sans entretien, sans préavis, en plein mois de juin, ce n'est vraiment pas le sommet de la courtoisie et de la distinction. En plus, selon toute vraisemblance PPDA ne s'y attendait pas. Récemment, je me souviens d'avoir lu dans "Paris Match" (j'étais chez le coiffeur) un article du genre "Pourquoi Poivre d'Arvor est indéboulonnable". Cruel coup du sort.


Pour finir, je me contenterai de citer Pierre Desproges (oui généralement c'est ce qu'on fait quand on est en manque d'inspiration, merci de me l'avoir fait remarquer) qui portraiturait ainsi son interlocuteur: "Patrick Poivre d'Arvor,homme éperdu de l'éternel chagrin des enfants du siècle, un homme qui vit sa mort jour après jour en adorant la vie, un homme qui va, l'écharpe au vent mauvais, frisonnant dans l'éprouvante amertume des sous bois de l'automne, où le loup de Vigny fint d'exhaler son impossible râle. Un homme enfin, déchiré par les contradictions insupportables de sa personnalité de demi-dieu vivant, moitié Châteaubriand, moitié Jean-Claude Bourret."


A la semaine prochaine.

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